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Sommaire
- Premier chapitre : De Belle-Iſle à Taïwan en passant par Tayoan et Formosa
- Lire le Français en passant par le François
- TAYOAN ou TAYWAN
- De la notion de transcription de l’écriture chinoise
- Deuxième chapitre : De Paccande à Taïwan en passant par Paccahimba et Theovan
- Troisième chapitre : De Pakkang à Taïwan en passant par Tayovang et Tayoā
- Quatrième chapitre : Les illustrations sur Taïwan trouvées dans le livre de George PSALMANAZAR
CHAPITRE I
De Belle-Iſle à Taïwan en passant par Tayoan et Formosa
A partir d’une double entrée d’un dictionnaire publié en 1759, j’aimerais vous transmettre le virus de la recherche et vous parler de Taïwan à travers les différents noms que les Occidentaux ont donné à cette île.
Lire le Français en passant par le François
Fin des années 1980, j’avais présenté à de jeunes adolescents de Nanterre des ouvrages datant des années 1780, soit des livres édités juste avant la révolution française. La magie de la l’Histoire opère lorsqu’il est loisible de la manipuler ! Ces gamins qui bénéficiaient de soutien scolaire dans une structure associative après l’école, avaient de graves lacunes dans la plupart des matières.
Tous, sans exception, lisaient à voix haute avec difficulté. Et pourtant, les mains saisissant l’Histoire, leurs yeux se sont habitués à une graphie vieille de deux siècles !
Donner du sens est le secret de chaque enseignement. Les “oi” et ces étranges “s” qui ressemblent fort à des “f” furent des obstacles vite franchis. Aujourd’hui, c’est avec vous, lecteurs, que je réitère l’expérience. N’ayez aucune crainte, le Français du XVIIIème siècle est accessible à tous et même aux plus jeunes ! Essayez avec vos enfants ou vos élèves, vous verrez, c’est facile.
TAYOAN ou TAYWAN
A partir d’une entrée dans un dictionnaire datant de 1759, je vous propose un petit voyage dans le temps, l’espace et l’Histoire, vers un ailleurs qui m’est cher : Taïwan. Voici l’entrée telle qu’on la trouve dans Le grand dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane [ Louis MORERI (Tome 10) 1759 : 59] :
TAYOAN OU TAYWAN, bourg avec un port & une citadelle. Il eſt dans une petite iſle ſur la côte occidentale de l’iſle de Formoſa, près de la Chine. Les Hollandois ont poſſédé ce lieu ; mais les Chinois s’en ſont de rechef rendus les maîtres. Voyez FORMOSA.
En principe, si votre ordinateur accepte la graphie que j’ai utilisée, vous devriez voir des “S” ressemblant à des “F” minuscules. Si ce n’est pas le cas, voici une copie extraite du site de la Bibliothèque Nationale gallica.bnf.fr :
Extrait : Le grand dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane. Tome 10 – 1759 – Louis MORERI – page 59. Accessible sur gallica.bnf.fr – Taïwan
Avec les noms “Tayoan” et “Taywan” nous comprenons facilement qu’il s’agit de l’ancienne graphie du nom “Taïwan” que nous utilisons actuellement. Naturellement, je n’ai pas choisi cette double entrée de manière aléatoire mais bien pour illustrer l’intérêt de remuer la poussière des siècles en ouvrant de vieux dictionnaires qui sont le reflet d’une mémoire d’un temps donné.
Comme je l’ai précisé dans l’article intitulé “Comment faire une bibliographie”, il est possible de présenter cette petite initiation à la recherche dès que les mécanismes de la lecture sont acquis, ce qui devrait être le cas dès le CP ou le CE1.
Qu’apprenons-nous sur Taoyan ? Il s’agit donc d’un bourg avec un port et une citadelle ! Un bourg ? Taoyan et Taywan, bien que très proches de la graphie et de la sonorité du terme “Taïwan“, sont-ils vraiment synonymes de ce dernier ? En d’autres termes, Taoyan et Taywan sont-ils écrits 臺灣 (Táiwān) en Chinois en 1759 ?
Continuons la lecture de la définition trouvée dans le dictionnaire de 1759. Nous apprenons par la suite que Taywan est une petite île sur la côte Ouest de Formosa, près de la Chine ! Là, le doute s’envole à propos du nom de “Formosa” car Formose est l’ancien nom donné à l’île de Taïwan. Mais ici, Taywan ou Taoyan serait une petite île située à l’Ouest de Formose.
De la notion de transcription de l’écriture chinoise
Dès que nous nous intéressons à la Chine et son Histoire, nous nous apercevons que les Occidentaux se sont heurtés à une langue non alphabétique qu’ils leur fallait transcrire à l’aide leur propre langue alphabétique. Nous parlons alors de romanisation ou de transcription de la langue chinoise.
Voyons ensemble quels sont les problèmes auxquels les Occidentaux ont été confrontés pour transcrire la langue de l’Empire du Milieu.
Problèmes rencontrés par les Occidentaux face à la langue chinoise
Un peu d’Histoire de la langue chinoise
Pour comprendre ce qu’est la langue chinoise, nous devons admettre que le Chinois est une langue unifiée par l’écrit et uniquement par l’écrit. Cette unité date de l’époque des Royaumes Combattants lors de la réforme d’unification de la graphie commandée par Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 deux siècles avant J.C..
Malgré une autre réforme plus proche de nous, celle organisée par MAO Zedong comprenant la simplification de l’écriture chinoise et la création de la transcription dite Pinyin, nous pouvons encore affirmer que seule l’écriture unifie la langue chinoise en République Populaire de Chine.
La transcription Pinyin est une transcription qui utilise les lettres de l’alphabet occidental. Il faut retenir qu’elle avaient deux objectifs :
Le premier, qui heureusement n’a pas abouti, était de transformer le Chinois afin d’en faire une langue alphabétique à l’aide des lettres de l’alphabet, les mêmes que j’utilise actuellement pour écrire cet article. Le second objectif est plus intéressant pour notre démonstration. Le Pinyin est un outil pour unifier oralement la langue chinoise en République Populaire de Chine. En fait, lorsque nous parlons de la langue Chinoise, le Mandarin, il s’agit du dialecte de Pékin, le Beijing hua.
Les multiples transcriptions de la langue chinoise
Si nous sommes face à une même langue écrite qui se lit différemment en fonction du lieu où nous nous trouvons, nous comprenons que les transcriptions peuvent être différentes elles-aussi. Ajoutons à cela que les Occidentaux venus de pays différents sont, par voie de conséquence, à l’origine de nombreuses transcriptions.
En fait, nous avons la chance que les caractères chinois écrits soient détachés de pluralité orale. Il s’agit à mon sens d’une exception historique.
Sans reculer trop loin dans le temps, le moindre livre occidental traitant de la Chine nous plonge dans l’univers multiple des transcriptions ! Un auteur britannique utilisera la romanisation Wade, l’autre la romanisation de l’E.F.E.O. s’il est français.
La romanisation Wade (ou Wade-Giles) fut inventée par Sir Thomas Francis WADE (1818-1885), un diplomate britannique qui fut le premier professeur de Chinois à l’université de Cambridge en 1888, comme précisé dans sa fiche signalétique du site Internet britannica.com.
La romanisation E.F.E.O. (Ecole Française d’Extrême-Orient) provient des travaux du Père Séraphin COUVREUR (1835-1919), un Jésuite français à qui l’on doit d’ailleurs un dictionnaire Chinois-Français portant son nom. Si l’Asie vous intéresse, je vous conseille vivement de découvrir le site de l’Ecole Française d’Extrême-Orient.
En fait, Sir Thomas Francis WADE et le Père Séraphin COUVREUR ont cherché tous deux à unifier les nombreuses transcriptions qui existaient dans les écrits qui les avaient précédés.
Dès que nous nous penchons sur l’Histoire, le moindre élément devient intéressant, le moindre indice nous ouvre des portes insoupçonnées. C’est cela que j’aimerais transmettre, l’envie d’apprendre, de découvrir et de comprendre !
Quelques cartes de Taïwan pour comprendre les différents noms donnés à cette île par les Occidentaux
Permettez-moi cet anachronisme en vous présentant une carte de Taïwan de 1881 et de comparer les graphies déjà rencontrées – Taoyan et Taywan – dans le dictionnaire datant de 1759 cité plus haut.
Sur cette carte que nous découvrirons plus bas, l’île est nommée “Ile Formose”, il s’agit de l’ancien nom que les Français donnaient à Taïwan. Ce nom était emprunté aux Espagnols qui dénommèrent les premiers l’île du nom de “Formosa” c’est-à-dire “Belle” ! Nous pouvons aussi trouver un autre nom espagnol qui désigne l’île, “Isla Hermosa” qui signifie “Belle Ile”.
Si nous revenons à notre définition tirée du dictionnaire de 1759, nous sommes invités à regarder l’entrée “FORMOSA” . Nous pouvons donc en conclure que “Formosa” était utilisé en Français à la place de “Formose” qui est la francisation de ce terme espagnol.
Dans le tome cinquième du dit dictionnaire nous trouvons la définition suivante à l’entrée “Formosa”.
“FORMOSA, ou BELLE-ISLE, iſle de l’Océan oriental, vers les côtes de Fokien & de Quantung, provinces de la Chine, & au ſeptentrion des iſles Philippines, eſt nommée par les inſulaires, Talieukieu ; par les Chinois Paccande ; les Portugais, Lequeio ; & par les Eſpagnols, Formosa, c’eſt-à-dire, belle, à cauſe de ſa ferilité & de la bonté de ſon terroir. […] ”
Extrait : Le grand dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane. Tome 5 – 1759 – Louis MORERI – page 254. Accessible sur gallica.bnf.fr
Nous pouvons constater que ces quelques lignes montrent à quel point des termes désignant un lieu lointain sont source d’inépuisables graphies !
Formose, alias Formosa, peut donc être dénommée Belle-Isle, “Belle-Île” en d’autres termes. Ici, nous nous penchons sur le cas de Taïwan mais j’invite tous les étudiants à s’intéresser aux anciennes graphies de leurs centres d’intérêt car, à l’heure du numérique où beaucoup de documents anciens ont été scannés et traités pour la recherche par mots-clefs, il serait regrettable de passer à côté d’une information importante en négligeant leurs origines étymologiques.
Nous apprenons ensuite que les insulaires nommeraient leur île d’une autre manière : Talieukieu ! En fait, si nous nous intéressons à Taïwan et son Histoire, nous voyons assez rapidement à quoi l’auteur de l’entrée fait référence. Il s’agit d’un nom qui peut porter à confusion car cette dénomination qui fut utilisée par un géographe chinois de la Dynastie Song (960-1279) désigne actuellement d’autres îles. Comme le précise Camille IMBAULT-HUART à la page 3 de son ouvrage “L’île Formose : histoire et description” , les termes “Liéou-kiéou” et “Tà Liéou-kiéòu” ont désigné Taïwan pendant une période donnée. Actuellement, Tà Liéou-kiéòu (en Pinyin : Dà Liúqiú – en Chinois : 大琉球) désigne les îles Ryukyu, un archipel japonais où se trouve, entre autres, Okinawa.
Remarquons que 大琉球 signifie Grande Liuqiu et qu’il existe aussi une petite île appartenant à Taïwan, située au Sud Sud-Ouest de l’île de Formose nommée Petite Liuqiu 小琉球 , connue aussi sous le nom de “île Lamay” dont le nom apparaît sur la carte suivante. Quant à l’utilisation du nom “Lequeio” par les Portugais, il s’agit là encore d’une autre graphie utilisée pour “Liuqiu” .
Dans un autre article, nous reviendrons sur le terme Paccande qui, selon l’extrait du dictionnaire est un terme utilisé par les Chinois pour désigner l’île de Taïwan. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises !
Carte de l’île Formose de 1881

Ci-dessus, nous nous apercevons sur cette carte de 1881 qu’au Nord de l’île Lamay dont nous venons de parler, se trouve une ville qui porte le nom de “Thaï-wan-f.” , souligné sur la carte.
Il est important de savoir lire une carte. Ici seules deux villes ont leur nom souligné. Au Nord de l’île, nous trouvons la ville de Ke-Lung (基隆) qui fut aussi l’éponyme de Taïwan pendant la dynastie Ming au XVIe siècle. [IMBAULT-HUART Camille, 1893: 4]
La grosseur des points qui indiquent l’emplacement des villes est toujours proportionnelle à l’importance de la ville en question. La ville de “Thaï-wan-f.” désigne en fait une division administrative, nous pourrions traduire ce nom par “préfecture de Thaï-wan”, en chinois 臺灣府 (en Pinyin : Táiwān fǔ)
Carte de Tai-Ouan ou isle Formose de 1735
La carte située ci-dessous est extraite d’une carte de la province du Fujian. Sa date d’édition est de 1735.


En zoomant sur la partie de la carte qui nous intéresse, nous retrouvons la Petite Liuqiu (ici Siao-lieou-kieou) et la ville préfecture du nom de Tai-Ouan-Fou (Fou désignant le terme préfecture). Notez la présence d’un carré formé par huit petits cercles. Là encore, la forme de ce carré et la grosseur des petits cercles nous donnent une indication sur la taille de la ville mais aussi sur la forte probabilité qu’il s’agit d’une ville fortifiée de forme carrée.
Deux autres cartes donnant des graphies différentes pour Taïwan
Les deux cartes suivantes servent à illustrer la manière des Occidentaux de s’approprier les noms chinois. La première est un extrait d’une carte manuscrite datant de 1752.
Les cartes manuscrites sont celles que je préfère ! Leurs auteurs ont pris la peine de nous les transmettre de manière intime formant ainsi des ponts entre les générations à travers les siècles. Je vous conseille vivement de découvrir la carte entière sur le site de la Bibliothèque Nationale (gallica.bnf.fr). Elle est l’œuvre du Père Antoine GAUBIL (1689-1759). C’est un trésor !
Ici Formose est dénommée Tay-ouan :

La seconde carte qui suit nous offre encore une autre orthographe : ISLE DE TAIOUAN !

Nous remarquons la ville portant le même nom (Taiouan) sur la côte Ouest en face du Fort Zelandia. Nous reviendrons dans un autre article sur la présence de ce fort construit par les Hollandais car le nom de Taïwan n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets !
A l’aide d’une entrée d’un vieux dictionnaire, nous avons pu comprendre que le nom de Taiwan était le nom d’une ville située sur la côte Ouest de l’île. Cette ville semble donc être l’éponyme de Taïwan (臺灣). D’autres articles verrons le jour afin de continuer cette petite recherche sur Formose et ses multiples noms.
Notons que notre point de départ, la double entrée du dictionnaire de 1759, mentionnait une petite île face à la côte Ouest de Formosa et non une petite ville de la côte Ouest de Formose. Il nous faudra remonter dans le temps et nous intéresser aux Hollandais pour comprendre d’où vient le nom de Taïwan.
De nos jours, la ville qui faisait face au Fort Zélande sur la carte de 1792 porte un autre nom. Il s’agit d’une ville où les petits déjeuners sont hors normes et certainement les meilleurs du monde pour peu que nous soyons gourmands, très gourmands, vraiment gourmands ! Son nom est Tainan – 臺南.
J’espère que vous avez cliqué sur les cartes présentées dans cet article. Elles proviennent du site de la Bibliothèque Nationale nommé Gallica. Les cartes sont des outils formidables pour comprendre le passé même lorsqu’elles ne sont pas légendées. L’Histoire n’est pas seulement écrite par les Hommes ; les forces telluriques, les mers et les océans sont autant d’acteurs intimement liés à la destinée humaine. Taiwan ne déroge pas à cette règle.
Nous commençons à vieillir lorsque la curiosité s’éteint… Avez-vous remarqué que l’une des cartes présentées vous donnait l’emplacement de l’île des Rois Mages ? L’Histoire, vaste océan où l’esprit navigue à travers le temps…
La suite : Chapitre II – De Paccande à Taïwan en passant par Paccahimba et Theovan
Patrick Le Chevoir
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