Le temps sacré des cavernes – Gwenn RIGAL

Gwenn RIGAL nous plonge dans l’Art pariétal, ces représentations que nous ont léguées nos lointains ancêtres de la Préhistoire. La présentation de cet ouvrage est suivi d’une critique du livre.

Temps de lecture estimé : 12 minutes

Article non sponsorisé

RIGAL Gwenn, 2016, Le temps sacré des cavernes – De Chauvet à Lascaux, les hypothèses de la science, éditions Corti, collection Biophilia, Paris, 381 pages.

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Le temps sacré des cavernes de Gwenn RIGAL

J’ai récemment visité la grotte reconstituée portant le nom de Lascaux II. J’avais quelques réticences à découvrir un lieu qui en reproduisait un autre. Finalement, Lascaux II m’a impressionnée de part les reproductions fidèles du milieu, des peintures et des gravures.

Le guide de cette visite guidée, Gwenn RIGAL, n’était autre que l’auteur du livre « Le temps sacré des cavernes » dont nous allons parler ici. Un passionné est reconnaissable à sa propension au partage et Gwenn RIGAL n’échappe pas à cette règle. Après l’avoir écouté, j’ai eu envie de découvrir son livre. J’espère à mon tour vous donner envie de le lire.

bison grotte Altamira
Reproduction réalisée par Patrick LE CHEVOIR (LE Xiao Long) d’un bison de la grotte ornée d’Altamira pour l’exposition Homo Spinassien Sapiens – 2003 – Epinay-sur-Seine.

« Le temps sacré des cavernes » m’a renvoyé à mes lectures des années 1980 lorsque je découvris les travaux d’André LEROI-GOURHAN, préhistorien, archéologue et ethnologue français. Par la suite, grâce à ces lectures, j’ai réalisé mes études à l’E.H.E.S.S. en ethnologie avec comme spécialité l’Anthropologie des Techniques auprès de François SIGAUT. Grâce à l’ethnographie que j’ai effectuée sur un groupe de sculpteurs à Taïwan, je suis passé de l’autre côté du miroir en devenant artiste peintre, modeleur et sculpteur. J’ai donc lu le livre de Gwenn RIGAL avec une grande attention puisque « Le temps sacré des cavernes » s’intéresse à l’Art (peint, gravé, modelé et sculpté), à l’ethnologie, aux techniques etc.

La forme

J’insiste toujours sur la forme d’un ouvrage surtout lorsqu’il affiche une orientation scientifique. Qui dit science, même lorsqu’il s’agit de Sciences Sociales, dit rigueur.

La composition du livre de Gwenn RIGAL « Le temps sacré des cavernes » comprend une préface, un tableau des chronologies de l’industrie lithique du Paléolithique supérieur français, un corps de texte de 311 pages incluant 95 illustrations en noir et blanc et un corpus utilitaire rigoureux (table des illustrations, index géographique, index des noms propres, une bibliographie de 27 pages, une table des matières).

Un livre à découvrir sur l’Art pariétal

Bien que le thème soit très spécialisé, ce livre s’adresse à un large public sans tomber pour autant dans une vulgarisation simpliste. Il s’agit d’une synthèse des travaux de divers horizons scientifiques ayant pour sujet principal l’Art des Hommes de Cro-Magnon, l’Art pariétal que nos ancêtres lointains nous ont légué à même les parois des grottes ou des abris couverts.

Gwenn RIGAL manie habilement les termes de chaque discipline en offrant aux lecteurs la possibilité de les comprendre sans avoir recours systématiquement à un dictionnaire. C’est à cela que nous reconnaissons un ouvrage bien construit qui hisse le lecteur par le haut.

Toutes personnes s’interrogeant sur l’Homme des temps préhistoriques et ses Arts dévoreront les pages de ce livre. Tous lecteurs désirant comprendre notre passé l’apprécieront à juste titre.

Reproductions de Patrick LE CHEVOIR (LE Xiao Long) de divers outils préhistoriques à l’occasion de l’exposition Homo Spinassien Sapiens – 2003 – Epinay-sur-Seine

Cette photographie de la recherche à un instant T passe en revue les différents courants et théories liés à la préhistoire, l’ethnologie, l’archéologie et autres spécialités scientifiques qui tentent d’interpréter la vie et le lègue de nos ancêtres qui ont orné les grottes.

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Critique et discussion à propos du livre de Gwenn RIGAL « Le temps sacré des cavernes »

Les critiques qui suivent n’ont pas pour but de dénigrer le travail de synthèse transdisciplinaire de Gwenn RIGAL mais de souligner quelques détails qui m’ont étonnés de par leur absence ou de par leur présence.

De l’absence d’échelle

Un des écueils les plus récurrents des articles ou ouvrages traitant des productions humaines est l’absence d’échelle. S’il me prenait l’envie de vous parler de la culture du radis Daïkon, je vous présenterais certainement une photo avec une échelle qui vous permettrait de vous en faire une idée précise quant à sa taille.

Radis daïkon
Radis daïkon – échelle 10 centimètres

Pourquoi insister sur l’importance d’une échelle ? Ici, l’ouvrage que nous venons de découvrir nous parle de représentations graphiques peintes ou gravées, de sculptures ou modelage en ronde-bosse, haut-relief ou bas-relief. Or, pour toutes ces productions humaines, la taille de l’œuvre conditionne les techniques.

Une peinture de quelques centimètres sur une paroi ne nécessite aucun recul, par exemple. Une œuvre magistrale sur la même paroi nécessite du recul, un autre système d’éclairage, d’autres outils, la mise en place de repères etc. Si un recul est impossible, il faut alors chercher une autre technique en amont pour être à même de réaliser une grande fresque. Ici, je pense à un modèle transportable et transposable, à un modèle projetable ou à une étude du geste à l’aveugle comme pour le Sumi-e.

Du comparatisme

Ici, mon étonnement est dirigé vers les ethnologues et préhistoriens qui éprouvent quelques difficultés à se détacher d’un comparatisme que je pensais désuet et enterré. L’espace temps qui sépare l’Homme de Cro-Magnon des chasseurs cueilleurs qui nous sont contemporains est le même espace temps qui sépare nos sociétés des peintres de Lascaux ou d’Altamira.

Cet écueil dans lequel les premiers ethnologues sont tombés nous renvoie aux prémices de l’ethnologie, l’évolutionnisme dont nous pourrions résumer ainsi le postulat : des sociétés ont évoluée, d’autres non. Une fois énoncé comme vérité, les groupes humains catalogués comme non évolués (les sauvages d’antan – les chasseurs-cueilleurs actuels) furent comparés à nos ancêtres préhistoriques.

Or, ce comparatisme est un leurre établi essentiellement sur le degré d’évolution des techniques et sur la notion de fixité. Il ne prend aucunement en compte notre contemporanéité avec les peuples protohistoriques actuels : le temps écoulé est le même pour eux que pour nous ; ils ont évolués différemment, c’est tout. De plus, la notion d’évolution est souvent interprétée comme positive alors qu’elle peut être négative : une régression est une évolution.

Du choix des termes chez les archéologues

Un concept, même lorsqu’il s’agit d’un néologisme, n’est jamais vide de sens… passé !

Pour illustrer ce sujet qui peut paraître anecdotique, nous ne prendrons que deux exemples : les Vénus et les Blasons. Les Vénus sont des représentations féminines sculptées et les Blasons sont des tracés plus ou moins géométriques que nous trouvons dans les grottes ornées.

Vénus de Lespugue, reproduction de de Patrick LE CHEVOIR (LE Xiao Long) à l’occasion de l’exposition Homo Spinassien Sapiens – 2003 – Epinay-sur-Seine

Implicitement, le terme Vénus nous renvoie à la mythologie romaine, à Aphrodite chez les Grecs. Même si nous affirmons que la part d’inconscient dans nos travaux est réduite, elle n’est jamais anéantie. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer des théories telles celles liées à une déité féminine concernant les « Vénus » de la préhistoire. Or, nos concepts sont le fruit d’un temps long séparateur, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut.

Quant au terme « blason » , concept appartenant à l’héraldique, il nous ouvre un chemin de pensée lié à l’appartenance identitaire, une appartenance clanique ou autre.

Nous devrions, en préhistoire, créer des néologismes vides de sens passés afin de n’y insérer que de stricts concepts qui ne fermeraient pas les portes implicitement, ou inconsciemment à certaines théories futures.

De l’absence de marqueurs temporels ou saisonniers : le cas des chevaux en bec de canard et les poils de bison

Les poils de bison

A plusieurs reprises Gwenn RIGAL insiste sur l’absence de marqueurs de saisonnalité à propos de l’Art pariétal de Lascaux, par exemple. Or, lorsque j’ai visité Lascaux II, j’ai remarqué l’inversion du sens des poils sur l’une des représentations d’un bison. Ma première impression que j’ai partagée d’ailleurs avec Gwenn RIGAL fut de lui déclarer que sur ce bison, l’artiste avait photographié un instant précis, un arrêt brusque de la bête, d’où l’inversion des poils du poitrail.

En y repensant, peut-être étions-nous simplement en présence d’un indicateur temporel : « la saison où le vent souffle sur les bisons » ? Comme l’affirme à juste titre Gwenn RIGAL au fil des pages de son ouvrage, les théories s’accumulent sans que nous puissions être certains de ces dernières.

Les chevaux à bec de canard

D’autres représentations ont retenu mon attention à la lecture du livre « Le temps sacré des cavernes » : les chevaux à bec de canard. N’y connaissant rien aux chevaux, j’ai transposé mon expérience que j’ai avec mes chèvres. Pendant la saison des amours, les chèvres et les boucs vérifient l’odeur de l’urine des autres chèvres en y trempant le bout des lèvres supérieures qu’ils retroussent par la suite pour y détecter un parfum signifiant à leurs narines. Lorsque mes chèvres s’adonnent à cet examen, elles ressemblent fort aux chevaux à bec de canard des temps préhistoriques. Si les chevaux inspectent l’urine de leurs congénères de la même manière, alors les représentations dont nous venons de parler sont aussi des marqueurs saisonniers.

De la parole d’un peintre : ma vision de l’art pariétal

Les paragraphes qui suivent émanent de mon ressenti en tant qu’artiste peintre et qu’ethnologue.

De nombreux artistes à des époques différentes

En partant du principe que les représentations de Lascaux II sont les copies conformes des peintures originales, j’ai été frappé par le nombre d’artistes différents qui ont ornés cette grotte !

Naturellement, cette affirmation ne prend corps que par rapport à l’expérience que j’ai de la peinture et essentiellement du trait. Mais cette diversité d’artistes m’a sauté aux yeux. J’ai même détecté des copistes dans certains cas ! A propos des deux vaches (ou taureaux) qui décorent les deux côtés d’une voûte, les têtes sont similaires mais l’une est réussie, l’autre n’est que le fruit d’une imitation non maîtrisée.

Mon âme d’artiste me dit aussi que beaucoup de gravures ne sont pas contemporaines à certaines peintures. Là, j’utilise mon expérience du trait acquise lorsque je m’adonnais au Sumi-e. Cela n’engage que moi et ma vision artistique mais les représentations géométriques et les représentations animalières ne proviennent pas du même groupe.

Survol des techniques

Quant aux techniques qui ne sont que survolées dans l’ouvrage de Gwenn RIGAL, il serait intéressant de s’y arrêter un peu. Lorsque nous contemplons une oeuvre pariétale aux dimensions impressionnantes, nous sommes face à une représentation achevée qui nous fascine de par sa beauté, de par sa grandeur et de par sa profondeur temporelle. Bien que nous pensions à notre ancêtre lointain qui nous l’a léguée, nous oublions le cheminement technique qui a permis la naissance de cette peinture, de cette gravure ou de cette sculpture.

Arrêtons-nous un instant sur la définition d’une technique selon Marcel MAUSS : il s’agit d’un « acte traditionnel efficace« . Qui dit tradition dit transmission générationnelle qui implique un apprentissage. L’art pariétal est le résultat d’un apprentissage dont nous ne savons rien. Personne ne s’improvise peintre ou modeleur avec autant de talent sans passer des heures et des heures à acquérir le geste maîtrisé. Or, nous nous représentons souvent l’Homme de Cro-Magnon comme un ancêtre passant son existence à chasser et à cueillir au milieu d’une nature hostile. Cette vision simpliste est incompatible avec un tel niveau pictural. Le temps passé à apprendre à peindre, à sculpter ou à modeler nécessite du temps libéré qui ressemble fort à une temporalité spécialisée.

Le livre de Gwenn RIGAL est un ouvrage qui, vous l’aurez compris, reste ouvert à la discussion. N’hésitez pas à le découvrir.

Patrick LE CHEVOIR


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Publié par LE Xiao Long - Patrick Le Chevoir - 樂小龍

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