Le chapitre III met l’accent sur les cartes et portulans de Formose (Taïwan) au XVIIe siècle et sur la famille des toponymes de la famille Pakan.
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Ce papier fait suite aux deux premiers chapitres suivants :
- Premier chapitre : De Belle-Iſle à Taïwan en passant par Tayoan et Formosa
- Deuxième chapitre : De Paccande à Taïwan en passant par Paccahimba et Theovan
- Troisième chapitre : De Pakkang à Taïwan en passant par Tayovang et Tayoā
- Quatrième chapitre : Les illustrations sur Taïwan trouvées dans le livre de George PSALMANAZAR

Référence bibliographique
LE CHEVOIR Patrick, 2022, De Pakkang à Taïwan en passant par Tayovang et Tayoā, in livresquejaime.fr
Auteur
Patrick LE CHEVOIR (1964)
Domaines
Taïwan – Cartes et portulans – Chine
Article non sponsorisé
Année 2022
livresquejaime.fr

Table des matières du chapitre III
- De Pakkang à Taïwan en passant par Tayovang et Tayoā
- Les différentes graphies rencontrées dans les deux premiers chapitres pour désigner Taïwan
- Fromosa, Tayovang et Paccande de Seyger van Rechteren en 1639
- La carte de JAILLOT Alexis-Hubert (1632?-1712)
- Pacan et une carte portugaise de 1650
- La carte de Nicolas SANSON et l’île de Pakan – 1652
- La carte de Guillaume SANSON : Lequeio ou Formosa – 1669
- Une carte de LUCINI Antonio Francesco
- L’île Fermosa et Johann Albrecht von MANDELSLO – 1666
- Une carte portugaise XVIIIème siècle ?
CHAPITRE III
De Pakkang à Taïwan en passant par Tayovang et Tayoā
Dans un premier temps nous compléterons le tableau synthétique des différentes graphies et autres noms que l’île de Taïwan a connus à travers les âges (Cf. les deux premiers chapitre). Nous insistons sur ce travail rébarbatif pour le chercheur car il pourra servir aux générations futures lorsque la recherche OCR sera plus performante qu’actuellement et quand de nombreux ouvrages anciens seront accessibles via Internet.
Puis nous nous intéresserons à la cartographie du XVIIème siècle afin d’y trouver les toponymes de la famille de Paccande qui désignent Taïwan. Nous essaierons de dénicher les mentions les plus anciennes. Les cartes et portulans nous aideront à voyager dans le temps et nous serviront de colonne vertébrale pendant tout ce chapitre.

Les différentes graphies rencontrées dans les deux premiers chapitres pour désigner Taïwan
Les différentes graphies | Correspondance en Chinois | |
Les différentes graphies du toponyme Taïwan | Tayoan Taywan Thaï-wan Tai Ouan Taiouan Tay-ouan Taivan Theovan Touai-Ouai Touaiouai Tai-wan | 臺 灣 |
Les déclinaisons, les synonymes et les traductions du toponyme Formosa | Formosa Formose Hermosa Isla Hermosa Belle-Isle Belle Ile | |
Les différentes graphies lorsque le terme Ryukyu désigne Taïwan | Talieukieu Liéou-kiéou Tà Liéou-kiéòu Lequeio | 大 琉 球 |
Toponymes de la famille de Paccande qui désignent Taïwan | Paccande Paccandi Paccahimba Paccanda Pacanda Paccando Pacando Pak-Ando Pac Ando Pac Audo (erreur d’imprimerie) Puk-kando Pekan Pekando | ? |
Autres toponymes désignant Taïwan | Gad-Avia Gad Avia Gadavia Kaboski | ? |
Autres noms chinois qui désignent Taïwan | 基隆 (nom de l’actuelle ville de Keelung) – Toponyme utilisé sous la dynastie Ming. | 基 隆 |

Fromosa, Tayovang et Paccande de Seyger van Rechteren en 1639
A la page 66 de son “Journael gehouden op de reyse ende wederkomste van Oost-Indien Volume 1” publié en en 1639, Seyger van RECHTEREN utilise trois graphies différentes pour Taïwan : Fromosa, Tayovang et Paccande.
Fromosa avec l’inversion du “R” et du “O” nous rappelle une autre inversion contraire, celle du terme “Formage” qui se transforma ensuite en “Fromage” dans la langue française.
Quant à Tayovang, il s’agit ici du nom de la ville qui donna son nom à l’île, l’actuelle ville de Tainan que nous avions déjà rencontrée lors des chapitres précédents.
Afin d’être plus rigoureux, précisons qu’à l’époque où les Hollandais établissaient Fort Zelandia, “Taïwan” ne désignait que la bande de terre sableuse où le fort fut construit.

Ce magnifique dessin non achevé est un témoignage historique du XVIIe siècle. Effectivement, nous remarquons trois navires non encore encrés sur la gauche en dessous de la ville. Je vous conseille vivement d’explorer cette vue à vol d’oiseau et de zoomer sur les détails. Le nom du dessinateur n’est pas parvenu jusqu’à nous contrairement à son illustration.

La carte de JAILLOT Alexis-Hubert (1632?-1712)
Le cartographe français Alexis-Hubert JAILLOT nous a légué une excellente carte de Taïwan sous le nom de Formosa.

En regardant de plus près la côte Ouest de l’île où le pavillon hollandais flotte sur Fort Zélande, nous remarquons une nouvelle manière d’écrire “Taïwan” : Taiouuan mais aussi Tay ou Van (Tay os Van ?). Notons qu’à l’époque où cette carte fut éditée, la lettre “U” et la lettre “V” étaient interchangeables. Cette remarque vaut aussi pour le “i” et le “j” .


Pacan et une carte portugaise de 1650
La carte suivante dont nous ignorons le nom du cartographe est un portulan qui nous vient du Portugal. Les portulans sont des cartes de navigation. Le nom de Pacan et de ilha Formosa désigne l’île de Taïwan. Pacan est un nom à retenir car nous découvrirons bientôt que Nicolas SANSON nomme Formose comme étant l’île de Pakan.


La carte de Nicolas SANSON et l’île de Pakan – 1652
Nous découvrons sur les cartes de Nicolas SANSON la mention de l’Ile de Pakan ou Formosa. Nous pouvons donc en conclure que les toponymes de la famille de Paccande qui désignent Taïwan vient de s’agrandir à nouveau. La plus ancienne mention que nous avions trouvée au chapitre II datait de 1686 avec la graphie Paccando. Ici, dans l’ouvrage intitulé “L’Asie en plusieurs cartes nouvelles et exactes et en divers traittés de géographie et d’histoire” édité en 1658, nous notons que la réalisation de la dite carte est antérieure. Comme nous pouvons le découvrir en haut à gauche de cette représentation de l’Asie, la cartouche nous indique la date de 1652. Pour le lecteur attentif, le terme “traittés” utilisé dans le titre prend bien deux T sur l’ouvrage de Nicolas SANSON.

Deux informations importantes
Deux informations importantes nous sont données : l’île de Pakan est un terme utilisé par les cartographes français en 1652. Avec l’expression “I. de Pakan ou Formosa” s’affrontent peut-être deux termes liés à deux histoires différentes, celle des Français et celle des Portugais.
Ne soyez pas étonnés que la carte ci-dessous soit en couleur et que la cartouche au dessus soit en noir et blanc. Il s’agit bien du même ouvrage et de la même carte. Celle du haut provient du site de la Bibliothèque Nationale de France sur gallica.bnf.fr et l’autre de books.google.fr.

Le célèbre cartographe Nicolas SANSON d’Abbeville
J’attire votre attention sur le fait qu’il s’agit d’une carte française du célèbre cartographe Nicolas SANSON d’Abbeville (1600-1667). Nous y trouvons la traduction française des îles Pescadores : Ile des Peſcheurs (l’île des Pêcheurs) ainsi que l’île bâptisée Les Roys Mages.
Remonter le temps nous plonge dans des graphies de la langue française qui n’ont plus lieu de nos jours. Comme nous l’avons vu dans le chapitre I, le François est encore accessible pour un lecteur d’aujourd’hui lorsque les codes lui sont donnés. Sur cette carte de Nicolas SANSON, nous trouvons le nom d’une ville qui fait presque face aux îles des Pêcheurs. Il s’agit de la ville éponyme de l’île de Formose : Tayoā. Ici le ā correspond à “an” . Tayoā est donc l’équivalent de Taoyan.
Nous verrons mieux le toponyme Tayoā sur l’agrandissement provenant de Gallica :

Une erreur sur l’emplacement de Fort Zelandia ?
Notons que l’emplacement de Zelande au Nord de Formose est une erreur s’il s’agit de Fort Zelandia qui devrait se trouver à proximité de Tayoā.
Quelques pages plus loin, Nicolas SANSON nous offre une nouvelle graphie pour le terme Belle Ile qui, nous l’avons déjà vu, est un des synonymes de Taïwan :
“Les Habitans de Formoſa, ou Bell’Iſle ſont preſque Sauvages.”
Nous rajouterons donc Bell’Iſle aux nombreux autres noms désignant Taïwan dans notre besace toponymique. Notez au passage, à la quatrième ligne de l’extrait l’orthographe du terme Occident : Occidēt. Ce que nous avons écrit à propos du ā abrégé de “an” vaut aussi pour le ē qui est ici l’équivalent du “en” .

La carte de Guillaume SANSON : Lequeio ou Formosa – 1669
A l’origine, la carte que nous allons découvrir est de Nicolas SANSON mais elle a été revisitée par son fils Guillaume SANSON (1633-1703) qui lui a apporté certaines mondifications eu égard aux nouvelles avancées de l’époque. Ici, le toponyme de Lequeio remplace Pakan. Nous avions déjà rencontré ce toponyme dans le chapitre I et nous avions soulevé l’ambiguïté de ce terme par rapport aux actuelles îles Ryukyu (en chinois : 琉球 – liuqiu).

Substitution de Pakan ou profit de Lequeio
Notons ici la graphie désignant le lieu où se trouve le Fort Zeelandia : Taiuan ou N. Zelande. Nous pouvons nous interroger sur le pourquoi de la substitution de Pakan par Lequeio à 17 ans d’intervalle. Nous pouvons admettre sans nous tromper que Guillaume SANSON s’est appuyé sur des cartes portugaises voire espagnoles. Comme nous l’avons déjà vu, le toponyme Lequeio est utilisé par les Portugais pour désigner Formose.
Carte de la famille SANSON de 1700

Comparaison de Formose sur les trois cartes
En 1700, une autre carte de la famille SANSON, fait réapparaître le nom de l’île Pakan. Cette nouvelle carte ressemble fort à celle de 1652. Attardons-nous un peu sur la morphologie de l’île Formose et comparons trois formes au fil des années :
La morphologie de Formose sur les trois cartes de la famille SANSON DE 1652 à 1700
Sur les cartes de 1652 et de 1700, malgré quelques différences minimes comme la présence du relief sur la plus récente, les contours de l’île de Taïwan sont très semblables. Celle de 1669 située au milieu diffère énormément ! Par contre, nous notons le marquage du Tropique du Cancer sur les deux dernières représentations de Formose signalé par les deux traits parallèles au Nord de l’île. Nous reviendrons largement sur le Tropique du Cancer dans un autre chapitre.
Pakan : une petite île à l’Est de Formose ?
Dans “Le grand dictionaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane” de 1683, Louys MORERI nous apprend à l’entrée “BELLE-ISLE” , synonyme de Formose, que Pakan serait une petite île à l’Orient de Formose, c’est-à-dire à l’Est des côtes taïwanaises. Pour être précis, trois petites îles sont citées : “[…] Pakan, Tabaco-Miguel, Tabaco-Xima […]” [MORERI Louys 1683 : 555]. Le terme dictionnaire dans le titre s’écrit avec un seul “n” sur cet ouvrage de 1683.
Deux possibilités s’imposent. Soit MORERI s’est trompé en examinant les documents qu’il avait à sa disposition et a déclaré que Pakan était une des trois îles que nous voyons sur la carte de Nicolas SANSON de 1652, par exemple. Il n’aurait pas vu la formulation avec la conjonction de coordination “ou” : “I. de Pakan ou Formosa” . Soit ni SANSON ni MORERI ne se sont fourvoyés car ils énonceraient deux vérités différentes. Nous pouvons très bien imaginer qu’une petite île proche des côtes de Taïwan s’appelle Pakan et que ce toponyme soit devenu un éponyme de Taïwan à une certaine période, cet éponyme étant tombé en désuétude par la suite.

Une carte de LUCINI Antonio Francesco
Les dates concernant Antonio Francesco LUCINI semblent se situer dans la première moitié du XVIIe siècle. Sur le site de la BNF, les dates le concernant sont présentées ainsi (1605?-166.?). Henry HARRISSE à la page 218 de ses “Notes pour servir à l’histoire, à la bibliographie et à la cartographie de la Nouvelle-France et des pays adjacents 1545-1700” nous apprend qu’il serait né à Florence en 1610.

Notons avec la carte de LUCINI une énième graphie pour la famille du terme “Pacande” : I. Pakas, sous-entendu “Isola di Pakas” en italien, soit en français “île de Pakas” .

L’île Fermosa et Johann Albrecht von MANDELSLO – 1666
A la même époque, les voyages de Johann Albrecht von MANDELSO sont traduits en français et nous y retrouvons le terme Paccande associé à l’île Fermosa :
“L’Iſle Fermoſa , c’eſt à dire belle Iſle, appellée par les Chinois Paccande, eſt ſcitué à 21. degrés de deçà la ligne, à trente-deux lieuës de la riviere de Chincheu […]”

Malgré ce nouveau toponyme, l’Iſle Fermoſa, qui ressemble fort au fils de Formosa et de Hermosa, le secret du terme Paccande n’est pas totalement mis à jour vers la fin de ce troisième chapitre.

Une carte portugaise XVIIIème siècle ?
Examinons de plus près cette carte certainement du XVIIIème siècle mais non datée avec précision. Nous sommes incapables de dire s’il s’agit d’une carte portugaise, hollandaise ou française. En effet, si nous l’examinons dans son ensemble, les langues diffèrent en fonction des lieux. Le côté Ouest, par exemple, est remplie d’indications très précises en Français. Cette carte est un témoin des pavillons occidentaux qui croisaient sur les mers lointaines au XVIIème siècle.

Croiser les sources pour affiner la recherche
Plus nous croisons les sources, plus nos hypothèses s’affinent. Avec l’expression en portugais “PAKAN O ILHA FORMOSA” , c’est-à-dire “Pakan ou île de Formose” , les doutes concernant le toponyme Pakan s’envolent. Ce dernier fut bien le synonyme de l’île de Taïwan et nous pouvons maintenant prétendre une autre hypothèse : Pakan est certainement le nom occidental qui donna naissance aux autres toponymes recensés par nos soins, tels que Paccande, Pak Ando, Puk-kando, Pekan etc.
D’où provient le terme Pakan ?
Il faudrait maintenant chercher d’où provient le terme Pakan. Comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre II, l’American Cyclopaedia à l’entrée « Formosa » prétend que Pekan et Pekando sont des termes d’origine malaise. A l’aide d’un autre livre, “Promenades en Extréme-Orient (1895-1898)” nous comprenons mieux la mention de la langue malaise et nous trouvons peut-être un indice sur l’origine du nom de Pékan :

Pékan et Pékando seraient donc des termes utilisés par les aborigènes de l’île de Taïwan. Signalons la présence de plusieurs langues aborigènes à Formose. Il nous faudrait trouver laquelle. Notons une nouvelle appellation “Ki-lung-shan” qui correspondrait à la transcription du terme chinois 基隆 (Keelung). Nous supposons eu égard au relief mouvementé de Taïwan que “shan” de “Ki-lung-shan” est le terme désignant la montagne 山 (shan).
Nous reprendrons cette recherche à propos de la “famille Paccande ou Pakan” lorsque nous nous intéresserons aux cartes chinoises représentant l’île de Taïwan. Mais avant cela, le chapitre IV sera consacré à l’imposteur George PSALMANAZAR que nous avons rencontré lors du chapitre II. De nouvelles surprises nous attendent !
Lire la suite :
Chapitre IV : Les illustrations sur Taïwan trouvées dans le livre de George PSALMANAZAR
Patrick LE CHEVOIR
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