Kojuro NAKAGAWA, président de la Bank of Taiwan, nous donne son avis sur l’avenir industriel de Formose dans une note de 1920.
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Faire un donFaire un don mensuelFaire un don annuelUn tapuscrit du Président de la Bank of Taiwan
Au détour d’une recherche, il arrive de dénicher un document inattendu. Le tapuscrit que je vous présente aujourd’hui date de novembre 1920 et émanerait du Président de la Banque de Taïwan en poste à l’époque sur l’île de Formose. Il s’agit de Monsieur Kojuro NAKAGAWA (1866-1944).
J’utilise le conditionnel car ce document de 4 pages, tapé à la machine à écrire, semble être une traduction en français d’une production en japonais voire en anglais. Il s’agit ici d’une hypothèse qui ne nie aucunement la paternité du texte.
Je n’oublie pas que l’un des objectifs de ce blog est de transmettre aux plus jeunes les bons réflexes liés à la recherche. Lorsqu’on se penche sur un écrit, il ne faut pas hésiter à relever les petits détails qui peuvent en assurer l’authenticité. Par exemple, nous distinguons l’apposition de quelques sceaux qui nous renseignent sur le voyage et l’un des heureux propriétaires de cette note, à savoir la Société de Géographie (Dépôt Soc. Géo). L’estampillage est un indice non négligeable pour l’ensemble des recherches.

C’est d’ailleurs pour cette raison que je pense qu’il s’agit d’une traduction peut-être transmise par un de leur membre basé dans le Pacifique comme un autre indice paraît le démontrer. Effectivement nous pouvons supposer que l’encadré manuscrit “Sg Colis n°101 (4824)” désigne une réception ou un envoi numéroté pour la Société de Géographie.

Laissons de côté nos hypothèses… les dates concordent et Kojuro NAKAGAWA fut bien Président de la Bank of Taiwan. Intéressons-nous maintenant à cette période.
1920, une date charnière
1920 est effectivement une date charnière concernant le destin japonais à Taïwan. En 1895, suite au traité de Shimonoseki, l’Empire du Japon est devenu propriétaire de l’île de Formose. Mais lorsque Kojuro NAKAGAWA écrit l’article intitulé « Formose, pays de grandes promesses industrielles », il ne peut se douter que l’histoire nippo-taïwanaise a déjà parcouru la moitié de son chemin.
Dans les années 20, le Japon pense Formose comme territoire acquis et projette donc son expansion économique par l’intermédiaire de cette île traversée par le tropique du Cancer.

Il ne faut jamais sous-estimer la Géographie quand on se penche sur l’Histoire. Si l’on souhaite obtenir une vision holistique, mieux vaut savoir quitter sa spécialité. En effet, l’île de Taïwan est située en zone tropicale et nombreux sont les Japonais qui ne supportent pas le climat considéré comme hostile. L’ère de la modernité avait sonné au Pays du Soleil Levant et Formose, non sans peine, profita de cet élan nippon. Quant à l’importance de la zone tropicale de Taïwan et des îles Pescadores, elle permit, à mon humble avis, d’éviter une colonisation migrante, c’est-à-dire d’un nombre important de Japonais sur le sol formosan.
Formose, pays de grandes promesses industrielles
Quel magnifique intitulé prémonitoire de la part de Kojuro NAKAGAWA. Dire qu’aujourd’hui, Taïwan détient l’avenir du monde électronique par l’intermédiaire des semi-conducteurs. Mais revenons au texte du Président de la Bank of Taiwan.
NAKAGAWA a une idée précise de Formose. Il sait que par sa géographie (encore elle !), l’île principale arrivera à terme de son maximum agricole. Effectivement, Taïwan est traversée du Nord au Sud par une imposante chaîne de montagnes. A l’Est, les plaines sont rares ce qui explique d’ailleurs pourquoi la colonisation de l’île s’est réalisée par l’Ouest au cours des siècles.

Les plaines Occidentales de Formose sont vastes comparées à celle de l’Orient. C’est dans cette partie de l’île que se concentre l’activité agricole et les programmes d’irrigation. Les données chiffrées de Kojuro NAKAGAWA prouvent sans conteste que, sous l’influence japonaise, les récoltes augmentent d’année en année. Cependant, elles restent limitées de par la morphologie de l’île. Mais la vision d’un banquier est le profit et il comprend qu’un territoire restreint ne pourra pas augmenter indéfiniment ses propres ressources agricoles malgré les progrès techniques et scientifiques. L’avenir de Taïwan se trouve donc ailleurs.
Du projet industriel taïwanais
La logique financière de NAKAGAWA se tourne donc vers un autre secteur de l’économie : l’industrie. Et qui dit industrie, dit énergie. Il recense alors les deux entités énergétiques de l’époque : le charbon et l’électricité. L’île détient des mines de charbon et un réseau hydrographique qui peut alimenter en électricité et subvenir en partie à la transformation industrielle. Je suis d’ailleurs étonné que les Kojuro NAKAGAWA ne mentionne pas l’importance des typhons sur les réserves en eau de Taïwan.
Cet été 2023, j’ai fait le tour de l’île. Concernant les typhons, mes amis taïwanais étaient soucieux que les typhons épargnent Formose depuis quelques années. En effet, sans ces pluies torrentielles, les réserves d’eau s’amenuisent. Ce qui paraît parfois dévastateur peut être source de vie. Ma vision est différente de celle d’un banquier. Passons…
Un autre avantage précisé par Kojuro NAKAGAWA est la main d’œuvre autochtone de l’époque. Moins efficaces que les Japonais, selon l’auteur, les Formosans ont l’avantage d’être moins payés que les Nippons. Cependant, le banquier reconnaît un facteur important que nous avons déjà mentionné : le climat ! Il est vrai que Taïwan est un pays chaud et humide qui n’a rien à voir avec le Japon. Décidément, les Nippons ne semblent pas apprécier cette atmosphère pesante et moite.
Vous remarquerez que ma présentation est critique. J’essaie simplement de vous donner quelques clefs afin que vous puissiez par la suite mieux apprécier cette note du Président de la Bank of Taiwan intitulée « Formose, pays de grandes promesses industrielles » disponible sur le site gallica.fr de la Bibliothèque nationale de France.
De l’hétérogénéité à l’homogénéité
La finance s’enthousiasme des chiffres aux dépens de l’Humain. L’auteur forge sa démonstration en oubliant que les Formosans de 1920 ne forment nullement un groupe homogène. Les Japonais l’apprendront à leurs dépens par le biais de révoltes originaires de différents groupes ethniques. L’hétérogénéité vient, d’une part, des Chinois très attachés à leur lieu d’origine sur le continent bien qu’installés sur l’île, mais aussi par la présence des premiers habitants de Formose, à savoir les aborigènes. Nous pouvons parler de migration masculine concernant les premiers colons chinois voire les migrations successives. Un dicton taïwanais actuel précise que les Formosans ont tous un père chinois et une mère… aborigène.
Sans s’en douter, le Japon mais aussi la Chine continentale des Qing sont certainement à l’origine d’un processus d’homogénéité à leurs dépens. L’un avait reçu la poule aux œufs d’or tropicale, l’autre l’avait perdue en la négligeant.
La Chine des Qing avait lâchement abandonné l’île de Taïwan et l’archipel des Pescadores lors du traité de Shimonoseki. Pour preuve, il suffit de se souvenir que les Formosans n’ont appris qu’ils étaient devenus sujets nippons que de la bouche des Japonais !
Une cour impériale qui se déleste d’une île lointaine au profit d’un envahisseur : voici de bons ingrédients pour qu’émerge un sentiment d’appartenance à un même destin.
Le train de l’Histoire
Kojuro NAKAGAWA détaille tous les avantages que Formose possède sans se méprendre. Il prévoit un bel avenir à Taïwan sous la bannière nipponne. Mais le train de l’Histoire est en marche et le développement de l’île qu’il prévoit ne sera japonais que pour une autre période de 25 années.
En effet, en 1945, Taïwan sera rendu à la Chine ; une Chine qui lui réservera encore plein de surprises.
Formose est une exception historique. Son passé est si riche en rebondissements que je vous conseille vivement de vous y pencher.
La petite note de quelques pages de Kojuro NAKAGAWA n’attend plus que vous. N’hésitez pas à la découvrir maintenant que vous connaissez le contexte.
Patrick LE CHEVOIR
6 octobre 2023

Mon DEA d’Ethnologie m’a ouvert les portes de plusieurs domaines : l’Anthropologie Sociale, l’Histoire, l’Art, la Rédaction, l’Agriculture et la Politique.