Première partie sur le naufrage du Meikong, un paquebot français où se trouvait la bibliothèque d’Henri CORDIER en 1877.
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1ère partie
Une bibliothèque qui cache les naufragés du Meikong
Dans mon dernier article où je présentai la Bibliotheca Sinica d’Henri CORDIER, l’épisode malheureux où ce dernier perdit l’ensemble de ses livres m’a poursuivi. En effet, j’étais tiraillé par la curiosité mais aussi par un étrange sentiment.
Les trois ennemis du livre
J’aime les livres et si l’Histoire du livre m’intéresse, l’Histoire des livres et des supports écrits me passionne encore plus. En effet, cette épopée est extraordinairement violente et riche en rebondissements. Nous devons être conscients que l’ensemble des ouvrages détenus par nos Bibliothèques nationales à travers les continents, ne forme qu’un leg fragmentaire du passé.
L’écrit couché sur papier a trois ennemis majeurs : le Temps, le Feu et l’Eau. Si le premier adversaire que le livre doit combattre est le Temps, les méthodes de conservation, de restauration ou de reproduction peuvent palier ses attaques dans certains cas. Mais, les deux autres antagonistes sont bien plus redoutables. L’incendie, l’autodafé, l’irruption volcanique dévorent de leurs flammes les pages de notre mémoire collective. Quant à l’inondation et le naufrage, ils diluent notre Histoire encrée qu’un instant nous pensions éternelle.
Les livres d’Henri CORDIER sur et sous les flots
Dans l’article intitulé “Bibliotheca Sinica, trésor et poussière” , nous avons appris que la bibliothèque d’Henri CORDIER – à savoir l’ensemble de ses livres – avait coulé à bord d’un navire nommé le Mékong . Vous remarquerez tout au long de votre lecture que j’emploierai différentes graphies pour le désigner, “Meikong” (ei), “Mékong” (é), Mei-kong (ei-k) ou Mekong (e) afin de permettre aux internautes qui enquêteraient sur ce bâtiment de retrouver plus facilement cet article. En effet, ces quatre orthographes sont celles que nous retrouvons dans les différents ouvrages et articles que nous avons consultés.
Regardons de plus près les dires de l’auteur dans la préface à propos de cette mésaventure :
“[…] ma propre bibliothèque, l’une des plus belles de Chine : elle a péri avec le “Mekong”, à la pointe de Raz-afoun, dans la nuit du 17 au 18 juin 1877 et cette perte, en me dépouillant d’une collection que j’avais formée avec amour depuis mon enfance, m’a privé en même temps d’un de mes plus utiles instruments de travail.” [CORDIER Henri (1878) 1904 : XI]
Quand un passionné d’ouvrages déclare ainsi la disparition tragique de ses livres, nous ne pouvons que nous émouvoir.
Sur les traces du naufrage du Meikong
En fermant les yeux, j’imaginai alors des livres se disperser au gré d’une houle agitée pour atteindre enfin les fonds marins. Quelle triste destinée pour une collection sur un sujet qui me tient à cœur : la Chine et son histoire !
Mais, subitement, une image moins poétique vint me sortir du pays des rêves. Des corps s’enfonçaient dans les abîmes au milieu des volumes récoltés au fil du temps par Henri CORDIER.
A cet instant précis, j’ai pris conscience que le drame de cette bibliothèque en cachait un autre. Je me suis senti si stupide que je décidai alors d’écrire un article sur les naufragés du Meikong afin de leur rendre hommage 146 années plus tard.
![MARINE - Naufrage du Mei-Kong au cap Gardafui [Guardafui] - Sauvetage des passagers - (Fac-simile du croquis de M. d'Angremont.)](https://i0.wp.com/livresquejaime.fr/wp-content/uploads/2023/10/image-12.jpeg?resize=750%2C530&ssl=1)
Qui étaient-ils ? Que faisait le Mékong près des côtes africaines ? De quel navire s’agissait-il ? De quel port provenait-il pour qu’Henri CORDIER lui confit son trésor amassé années après années ? Henri CORDIER était-il sur le Mékong ?
Des questions agitaient mon esprit à chaque tic-tac de la pendule. Il me fallait des réponses.
Une précision d’Henri CORDIER sur sa bibliothèque engloutie
Dans un ouvrage sur l’Afrique datant de 1906, Henri CORDIER nous délivre une version plus restreinte de sa bibliothèque engloutie par les flots. Le mercredi 27 septembre 1905, il se trouve à bord du Saxon, un paquebot vapeur de l’Union Castle Line. En passant près des côtes où le Meikong fit naufrage, il écrit :
“Vers 10 heures du matin, Raz Afoun, large falaise aride, avec une pointe tranchante ; un des plus pénibles souvenirs de ma vie : dans la nuit du 17 au 18 juin 1877, le vapeur des Messageries, le Mekong, qui portait les collections que j’avais réunies pendant sept années de séjour en Chine, s’est perdu sur cette côte.”
[CORDIER Henri 1906 : 218]
Grâce à cette nouvelle déclaration, l’éclairage sur cette collection est plus convaincant. Il s’agit donc uniquement de sa bibliothèque constituée sur plusieurs années en Chine et non de l’ensemble de ses livres amassés depuis son enfance, comme il l’avait suggéré dans la préface de la Bibliotheca Sinica.
Pourquoi les livres d’Henri CORDIER se trouvaient-ils sur le Meikong ?
Nous allons essayer de répondre à la question ci-dessus en examinant deux sources, l’une provenant d’un texte de Léonard AUROUSSEAU et l’autre d’une allocution d’Alfred LACROIX.
Léonard AUROUSSEAU et sa nécrologie
Lorsque Léonard AUROUSSEAU rédige la nécrologie d’Henri CORDIER, nous apprenons dans un premier temps que le jeune Henri :
“[…] partit pour la Chine le 18 février 1869 [et qu’] il se fixa à Chang-hai.“
[AUROUSSEAU Léonard 1925 : 279]

Non seulement Léonard AUROUSSEAU nous précise donc la date exacte des premiers pas d’Henri CORDIER sur le sol de l’Empire du Milieu, mais dans un deuxième temps, il nous confirme aussi le jour de son départ définitif.
“Le 31 mars 1876, il quitta la Chine pour passer un congé de quelques mois en France. En réalité, Henri Cordier ne devait plus revoir l’Extrême-Orient. A son voyage de retour vers la Chine, il reçut à Suez un télégramme du Gouvernement Chinois le nommant secrétaire d’une mission chinoise d’étudiants envoyés en Europe. Il revint en France.“
[AUROUSSEAU Léonard 1925 : 279-280]
L’allocution d’Alfred LACROIX

Alfred LACROIX confirme les dires de Léonard AUROUSSEAU dans son allocution lors de la séance du 27 mars 1925 de la Société de Géographie. [LACROIX Alfred 1925 : 398]
Il rend alors hommage à Henri CORDIER, décédé quelques jours plus tôt, le 16 mars et qui n’était autre que le Président de la Société de Géographie. Henri CORDIER, l’autodidacte, cumulait effectivement les titres et les honneurs.

Nous pouvons donc affirmer qu’Henri CORDIER après ses vacances en France pensait rejoindre la Chine en 1876. Mais son voyage en mer en direction de Shanghai fut interrompu à Suez par le télégramme qui l’attendait alors. Il est donc compréhensible que sa fameuse bibliothèque laissée derrière lui dans la ville portuaire de Shanghai ne fît pas partie de son départ de Chine le 31 mars 1876. C’est ce que nous précise Alfred LACROIX :
“[…] il rassembla une importante bibliothèque chinoise qui devait disparaître dans un naufrage quand plus tard, il voulut la faire transporter en Europe.“
[LACROIX Alfred 1925 : 398]
Henri CORDIER n’était donc pas sur le Meikong la nuit du naufrage. Certes, il reste encore des zones d’ombre dans cette petite étude qu’il serait intéressant d’éclairer. Qui s’est chargé d’envoyer les livres d’Henri CORDIER ? Comment étaient-ils emballés et dans combien de caisses. Autant de questions qui trouveront certainement un jour des réponses en fouillant dans les archives des Messageries Maritimes.
Dans notre seconde partie, nous nous intéresserons au Meikong, ce paquebot des Messageries maritimes qui reliait Shanghai à Marseille et nous l’accompagnerons dans sa dernière traversée.
Patrick LE CHEVOIR
6 novembre 2023

Mon DEA d’Ethnologie m’a ouvert les portes de plusieurs domaines : l’Anthropologie Sociale, l’Histoire, l’Art, la Rédaction, l’Agriculture et la Politique.
Bibliographie
AUROUSSEAU Léonard, 1925, “Nécrologie – Henri CORDIER” , in Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, Tome 25, pp. 279-286
CORDIER Henri, 1904, Bibliotheca Sinica – Dictionnaire bibliographique des ouvrages relatifs à l’Empire chinois, Volume 1, E. Guilmoto éditeur, Paris, 764 colonnes.
CORDIER Henri, 1906, Le périple d’Afrique – Du Cap au Zambèse et à l’Océan Indien, E. Guilmoto éditeur, Paris, 231 pages.
LACROIX Alfred, 1925, “Allocution de M. LACROIX – Séance du 27 mars 1925” , texte intégré à la nécrologie intitulée “Henri CORDIER (1849-1925)“, in La Géographie – Bulletin de la Société de Géographie, Tome XLIII, n°4-5, pp. 397-399 pour l’allocution, pp. 395-402 pour la nécrologie complète.